Délai spécial d’imposition

L’article 358 du C.I.R. 92 prévoit plusieurs cas où, même après l’expiration du délai prévu à l’article 354 du même Code, l’impôt ou le supplément d’impôt peut encore être établi. C’est notamment le cas lorsque « des éléments probants font apparaître que des revenus imposables n’ont pas été déclarés au cours d’une des cinq années qui précèdent celle pendant laquelle ces éléments probants sont venus à la connaissance de l’administration » (art. 358, §1, 4° C.I.R. 92).

Lorsque l’administration veut faire application de ce délai visé à l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92, l’impôt ou le supplément d’impôt doit être établi dans les douze mois à compter de la date à laquelle les éléments probants sont venus à la connaissance de l’administration.

Cour d’appel de Bruxelles – 9 juin 2015

La Cour d’appel une rendu une décision intéressante quant à ce délai visé à l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92 (voy. Bruxelles, 9 juin 2015, R.G.C.F., 2017/2, pp. 123).

L’affaire soumise à la Cour d’appel concernait la SA X qui avait omis de rentrer une déclaration à l’impôt des sociétés pour les exercices d’imposition 1999 et 2000. Malgré cette omission, l’administration n’a pas fait application de la procédure d’imposition d’office.

Dans le cadre d’une réclamation introduite pour un exercice d’imposition antérieur, la SA X va transmettre à l’administration la copie des comptes annuels pour les années 1998 et 1999 (soit les années pour lesquelles aucune déclaration à l’impôt des sociétés n’avait été souscrite). Se basant sur les documents ainsi transmis, l’administration adresse à la SA X durant l’année 2003 une notification d’imposition d’office pour les exercices d’imposition 1999 et 2000 (absence de déclaration à l’impôt des sociétés souscrite dans le délai légalement prescrit).

L’administration fait application, concernant le délai d’imposition, de l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92 et retient comme éléments probants les comptes annuels communiqués par la SA X.

Tant la réclamation administrative que le recours judiciaire en première instance seront déclarés non fondés.

La Cour d’appel de Bruxelles réforme le jugement rendu en première instance et annule les cotisations litigieuses pour violation des articles 354 et 358 du C.I.R. 92 : « l’article 358 du CIR 1992 ne permet pas au fonctionnaire-taxateur d’établir une cotisation, après l’expiration du délai prévu à l’article 354 du même code, lorsqu’il a omis d’enrôler cette cotisation dans le délai de trois ans prévu à l’article 354 du CIR 1992 » (Bruxelles, 9 juin 2015, R.G.C.F., 2017/2, pp. 123).

La Cour considère que le délai prévu par l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92 est « applicable lorsque des éléments probants établissent que des revenus n’ont pas été déclarés, mais ne permet pas de suppléer à la carence du fonctionnaire-taxateur qui a omis d’établir la cotisation à l’impôt des sociétés dans le chef de la SA [IBVA] pour les exercices d’imposition 1999 et 2000, dans le délai de trois ans prévu à l’article 354 du CIR 1992 ».

Cour de cassation – 17 novembre 2016

La Cour de cassation va casser l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 9 juin 2015 considérant qu’il « ne suit pas de ces dispositions qu’en cas d’absence de déclaration, l’ouverture du délai spécial d’imposition de l’article 358, §§ 1er et 2, 4° du Code des impôts sur les revenus 1992 serait subordonnée à la mise en œuvre préalable d’une procédure d’imposition dans le délai de trois ans prévu à l’article 354, alinéa 1er, du même code » (Cass., 17 novembre 2016, R.G.C.F., 2017, pp. …).

Quid en cas d’inertie de l’administration ?

Qu’en est-il lorsque l’administration a omis d’établir l’impôt dans le délai de 3 ans visé à l’article 354, alinéa 1er alors qu’elle disposait des moyens pour ce faire et se rabat par la suite sur le délai spécial de l’article 358 du C.I.R. 92 ?

Dans un jugement du 19 décembre 2006, le Tribunal de première instance de Liège a eu l’occasion d’apporter une réponse à cette question en rejetant l’usage extensif qu’entend, dans certains cas, faire l’administration de l’article 358 du C.I.R. 92. Ce jugement est intéressant à plusieurs égards :

  • D’une part, il rappelle que les dispositions de l’article 358 C.I.R. 92 constituant des dispositions exorbitantes du droit commun, elles doivent « être interprétées de manière restrictive et en ayant à l’esprit qu’étant exceptionnelles, elles ne peuvent s’appliquer que dans les hypothèses tout à fait particulières qu’elles visent» ;
  • D’autre part, il précise que « les éléments probants qui peuvent être retenus comme tels dans le cadre de cet article sont des éléments que l’administration ne connaissait pas avant» (Civ. Liège, 19 décembre 2006, fiscalnet.be).

Ce jugement doit selon nous être approuvé, l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92 ne permettant pas à l’administration de suppléer à son inaction lorsqu’elle avait déjà connaissance des éléments lui permettant de rectifier la situation du contribuable dans le délai de trois ans visé à l’article 354, alinéa 1er du C.I.R. 92.

Il est toutefois à noter que la jurisprudence n’est pas unanime sur cette question.

Pour en revenir à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2016, nous estimons que cette décision ne peut, sur cette question procédurale, être approuvée. En effet, les comptes transmis par la SA X n’ont pas, d’après nous, fait apparaitre que des revenus imposables n’avaient pas été déclarés étant donné que l’administration, eu égard à l’absence de déclaration à l’impôt des sociétés rentrée dans le délai, avait déjà connaissance du fait que des revenus n’avaient pas été déclarés.

L’article 358 du C.I.R. 92 offre des pouvoirs considérables à l’administration

L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 9 juin 2015 a apporté un vent d’espoir pour les contribuables quant à l’application de l’article 358, §1, 4° du C.I.R. 92 qui reste, malgré tout, une disposition conférant à l’administration des pouvoirs considérables. Marc Baltus qualifiait d’ailleurs cette disposition de « monstre juridique » (M. Baltus, « Le délai  exceptionnel d’imposition des revenus révélés par une action judiciaire – Un monstre juridique », J.D.F., 1984, pp. 65-88). Cette qualification est toujours d’actualité, surtout à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2016, même si certaines juridictions s’attèlent à éviter que ce « monstre » ne soit utilisé par l’administration fiscale pour pallier à son inertie.